Texte : Benoit Godbout
Photos : Michel Chalifour
Ferme-Neuve, les 15-16-17 février 2019
Nous commençons à peine notre voyage qu’il tombe du ciel une froide substance poudreuse, blanche comme de la farine Five Roses. Les rois des forêts en sont si couverts que leur forme fait penser à des statues de vieux fantômes morts ou disparus, comme dans le vieux Montréal. Nous dînons au Refuge du Ruisseau. Les sept filles forment un mur de doudounes autour du feu naissant pendant que les quatre garçons attablés font semblant d’avoir chaud avant de rechausser leurs skis.
Nous arrivons enfin au Refuge du Sud. Fausse publicité. Ici, il n’y a pas de bar dans la piscine ni de cours de plongée sous-marine avec des moniteurs aux abdos d’acier. À l’extérieur, deux petits cagibis servent tant bien que mal à cacher des monticules d’excréments gelés. Dans une autre cabane, le bourreau de l’endroit a laissé sa hache et son billot. C’est certainement la salle d’exécution.
À l’intérieur trône un âtre vitré qui permet de reproduire en miniature les feux de l’enfer pour nous rappeler où nous sommes. Nous le gavons de vielles nouvelles et de publicités de camion avant d’y mettre une allumette puis de tenter de survivre au froid de la nuit qui tombe. Le repas consiste en lacets de semoule dans une sauce rouge sang suivi de brownies cuits dans un moule trop grand.
Le lendemain, les ouvreurs perdent espoir de revoir leurs chevilles mais peuvent se consoler à la vue de leurs mollets. Dans les descentes, l’avant jambe pousse la balayure hors du chemin comme une lente gratte que ceux derrière menacent impatiemment d’emboutir.
Ce travail acharné laisse derrière nous deux bandes affaissées qui serpentent jusqu’à notre point d’origine. Nous ruminons intérieurement pour la damnation du fabricant de nos skis qui, pour sauver quelques dollars, n’a pas jugé bon de mettre des spatules à l’arrière. Malgré nos efforts, impossible de reculer. Notre seule issue se trouve devant, toujours plus devant jusqu’à l’Abri du Vent.
Ce refuge n’est pas mieux que l’autre, il surplombe sur 180o un lac qui n’a de nom que Windigo, tellement il est gelé. Après un court dîner, nous empruntons la longue remontée au très mal nommé Refuge du Sud pour une seconde nuitée. Cette fois, des cubes de soya pressés accompagnent une sauce de général chinois. Un gâteau au goût de noisettes cassées termine le repas. Au troisième matin, le ciel est bleu comme à Cancún mais il fait un froid de vert spécial. Nous fartons et partons une dernière fois.
Dans une descente, je crois sentir un farfadet sous mon pied gauche, à moins que ce ne soit un petit démon ou quelque diablotin, bref ils sont bien cachés sous la neige. Ils s’amusent à agripper un de nos skis, le stoppant net et nous envoyant voler pour enfin plonger tête première dans une épaisse couche de matière froide. Là, le plus long des bâtons télescopiques n’a aucune prise. On doit nager dans l’espoir de revenir sur nos pieds sans se noyer. Ils doivent bien rigoler de nous voir ainsi déconfits.
La fin est proche. Onze skieurs ensorcelés font leurs dernières enjambées sur le lac. Les deux étroits sillons que nos efforts ont dessinés sur le massif montagneux forment maintenant une boucle dont on ne veut plus s’extirper. Nos traits resteront gravés jusqu’à ce qu’une nouvelle poudre, blanche comme de la farine Five Roses, tombe du ciel et vienne envoûter d’autres voyageurs.
Nous offrons toute notre gratitude à Daniel, l’organisateur comme au photographe Michel; sans oublier les ouvreurs, les fermeurs, les cuisiniers, les baristas, les gardiens du feu et le conducteur de motoneige qui ont fait de cette sortie, une sortie d’enfer …
… à la montagne du DIABLE
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